LE MARCHAND
Les Marchands au Moyen-Âge (La naissance de l'individu...)
Le premier Moyen Âge (Ve-XIe siècle), est appelé aussi haut Moyen Âge. Cette période débute par un très haut Moyen Âge (Ve-début VIIIe siècle). Le second Moyen Âge (XIIe-XVIe siècle), est appelé bas Moyen Âge.
Autour de l'An Mil , dans l'imaginaire médiéval, la société idéale s'organise selon trois ordres: les gens de prière (oratores), les gens de guerre (bellatores) et ceux qui cultivent la terre (laboratores). Au-delà des critiques de certains historiens à propos de ce schéma, la société idéale dans l'esprit de l'époque et notamment des « classes dirigeantes », devait s'organiser selon un ordre voulu par Dieu.
C'est ce même ordre qui avait permis aux nobles et aux clercs d'exercer leur pouvoir sur la cité terrestre. Dans cette cité-là, les liens entre les membres de chaque ordre sont strictement codifiés, tissés par la religion. Ils prennent la forme de serments et se matérialisent dans les lignages et les confréries. Le salut des hommes passe par leur appartenance à une communauté qui les identifie, leur donne un rôle à jouer, les protège aussi dans une société marquée par la violence. L'autorité du maître est, dans ces conditions, incontestable ; le père de famille, le père de l'Eglise et le seigneur des lieux sont obéis. La place de chacun étant ainsi fixée, le destin échappe aux hommes, leur volonté n'est rien face à la colère de Dieu. Leur effort doit être tourné vers la sauvegarde de leur âme, la protection des proches, la connaissance de Dieu, de Ses volontés et le respect de Ses lois.
Le marchand va perturber cette organisation et ses pratiques vont marquer une rupture considérable avec l'ordre établi. Le marchand calcule pour lui et non pour les autres, il tente de manoeuvrer les éléments, humains ou naturels, selon ses seuls intérêts. Il ne peut dépendre de la Providence, des règles divines qui président aux relations et aux attitudes de l'époque. Ces pratiques comme certains discours vont marquer le desserrement des liens traditionnels, et l'individu va prendre forme à partir du XIe siècle. Au Moyen Age, par conséquent, naît l'idée, selon laquelle la richesse des cités est fondée sur le travail des hommes libres. C'est une activité légitime permettant aux hommes de s'émanciper et d'accéder à la propriété. C'est le moment où s'affirme l'individu, un homme conscient de ses intérêts, et où prend forme une société hiérarchisée selon le travail de chacun.
La logique marchande va aussi participer à la recomposition des structures sociales et politiques du Moyen Age, car les marchands ne se contentent pas de vendre. Ils cherchent à influencer les décisions concernant leur cité et certains
réussissent même à prendre les clefs de la ville. La renaissance des villes et l'activité marchande sont ici déterminantes pour comprendre les mentalités nouvelles, davantage cen trées sur la personne et moins tournées vers le mystérieux et le sacré. En effet, la ville est le lieu où les métiers s'établissent, où la monnaie circule. Elle devient un lieu de passage quand les marchés s'y installent. Les lignages s'effritent, les communautés s'en trouvent perturbées, les groupes ne vivent plus en autarcie dans une ville close que la forteresse protège des barbares. Les autres en sont plus des ennemis, ils viennent pour affaires, pour acheter ou vendre, pour faire fabriquer ou réparer, pour trouver du travail parfois. Le marchand du Moyen Age se déplace, parfois loin, pour acheter et vendre ses produits (Colporteurs, pieds poudreux). Les marchés, les foires, sont des lieux d'installation provisoires pour ces marchands ambulants.
Les marchands formeront longtemps un groupe marginal, objet de mépris et de suspicion. Le travail aussi sera perçu comme le châtiment du péché originel, avant qu'au XIIe siècle, il ne devienne un instrument possible du rachat de l'homme. Les ordres mendiants, installés en ville, rédigent des manuels de confesseurs où l'homme est présenté comme travaillant et trouvant, par son effort, sa place dans la société.
Et certaines pratiques disent encore le désir d'exister pour soi que vont
incarner les marchands. C'est, par exemple, le nombre croissant d'autobiographies à partir du XIIe siècle, l'examen de conscience individuelle qu'impose le concile de Latran en 1215, l'apparition du « je » dans la littérature, la lecture silencieuse, pour soi, qui remplace la lecture à haute voix, la naissance du patronyme aux XIIXIIIe siècles quand les nobles, puis les marchands, cherchent des marques de reconnaissance.
C'est à la fin du Moyen Age, entre le XVe siècle et le début du XVIe siècle, que certains marchands s'implantent en ville, grossissent, puis transmettent leurs affaires à une lignée qui amplifiera encore le commerce.
Source Henri Jorda. Maître de Conférence à l'Université de Reims. Chercheur au laboratoire HermEs